🇸🇳 Abdou Diouf, « Diriger un État est une mission exaltante, mais il arrive bien souvent que, dans l'exercice de cette noble mission, on se sente seul. 

D'aucuns ont utilisé l'expression de « solitude du pouvoir » pour rendre compte de ce sentiment. Aussi, nombre de mes compatriotes se souviennent encore de quelques-unes de mes interventions au cours de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle de 2000. Ils se souviendront surtout, je le crois, de ma participation à l'émission « Xell xelli » sur la radio Sud FM, de mon ami Babacar Touré. Répondant à des questions qui avaient trait à certaines thématiques touchant au quotidien des Sénégalais, j'avais eu l'honnêteté de répondre que je n'étais pas au courant quand c'était le cas. Par la suite, je compris que cela avait surpris beaucoup de mes compatriotes, et nombre de mes camarades étaient sur le point de me reprocher cette honnêteté intellectuelle qu'ils n'hésitaient pas à assimiler à une erreur de communication vu le contexte et les enjeux politiques afférents. 

Mais pouvais-je être autre que moi-même ? Avais-je le droit à ce moment précis de tricher avec la réalité, même si cet acte, contraire à mes principes, pouvait me permettre d'engranger encore un peu plus de confiance de la part des électeurs ? Pouvais-je tricher avec tous ceux qui m'écoutaient et qui, quelques jours plus tard, devaient glisser leur bulletin dans une urne pour choisir celui à qui ils allaient confier leur sort pour un nouveau mandat à la tête du pays ? Démagogue, je n'ai jamais été et je ne tenais pas à le devenir, encore moins à promettre ce que je ne pouvais donner.

Cet exemple et bien d'autres qu'il serait fastidieux d'énumérer ici m'ont conduit bien souvent à réfléchir sur cette question aussi vieille que le monde : la solitude de l'homme au pouvoir. Comment être dans la foule de ses collaborateurs et faire en sorte de ne pas être un homme isolé ? Voilà une grande question.

J'ai présidé aux destinées du Sénégal pendant dix-neuf années. Années de don de soi, de sacerdoce, de dur labeur au service de la collectivité. Être à la tête d'un pays, c'est présider. Et s'il fallait trouver une image collant à l'étymologie du verbe présider, ce serait celle d'un homme, ou d'une femme, installé au-devant d'une barque, et ayant derrière lui une équipe de rameurs qui l'aident à faire avancer la barque. Travail d'équipe, donc. L'image que l'on a souvent du président de la République, c'est celle d'un homme qui est partout, qui peut tout faire et tout défaire, et qui est au courant de tout. Or la réalité est tout autre. S'il est vrai que, dans l'exercice de ses fonctions, il dispose de toute une logistique devant lui permettre d'être bien informé, cette information ne lui parvient que par le travail méthodique, engagé et efficace, de ses collaborateurs, et notamment de ceux qui sont les plus proches. La remontée de l'information objective, bien vérifiée et digne d'être portée à la connaissance du Président, est essentielle à ce niveau. Je sais de quoi je parle pour avoir occupé plusieurs positions aux côtés d'un président de la République avant de le devenir. »

Abdou Diouf, Mémoires, Éditions Seuil.